Réponse à la mobilisation FFMC : la Sécurité Routière maintient le contrôle technique…
La Sécurité routière traiterait-elle les manifestants par le mépris ? Oui, si l’on en croit la réponse apporté à la FFMC après la grande mobilisation des motards ce week-end : un bref commentaire au 20h de TF1, et c’est tout… Vive la concertation !
Les 16 et 17 avril, la Fédération Française des Motards en Colère (FFMC) a orchestré une vaste mobilisation nationale contre le projet gouvernemental de contrôle technique à la revente d’une moto ou d’un scooter. Environ 50 000 manifestants ont rejoint 70 cortèges. Quelle réponse a fourni la Direction à la sécurité et à la circulation routières (DSCR) du ministère de l’Intérieur à la FFMC et aux manifestants motards ? Aucune, ou presque :
pas un coup de fil, pas un rendez-vous pris avec la FFMC…
Seul commentaire, la réponse express du délégué interministériel, Emmanuel Barbe, au 20h de TF1 dimanche soir (lire ci-dessous).
En fait, la DSCR avait déjà répondu… avant la manif !
La DSCR a publié un communiqué de presse, le 15 avril en fin d’après-midi, soit la veille de la grande mobilisation de la FFMC. Dans ce texte de deux pages intitulé « Mise au point de la Sécurité routière sur la future obligation de contrôle technique des deux-roues motorisés à la revente », elle tente de convaincre du bien-fondé de cette mesure annoncée par le gouvernement le 2 octobre 2015.
Toujours les mêmes arguments
Le premier argument est fréquemment utilisé par le délégué et ses troupes : « Le risque d’être tué pour un motocycliste est 23 fois plus élevé que pour un conducteur de véhicule de tourisme. »
Il n’a aucun rapport avec le contrôle technique, et ne fait que révéler une évidence : un deux-roues, surtout à moteur, met forcément son conducteur en position plus vulnérable que celui d’une automobile, voire d’un camion… Mais le conducteur le sait. Cet argument reflète donc l’idée que la Sécurité routière considère les motards comme des irresponsables.
Au passage, un deux-roues est aussi un véhicule de tourisme. Mais la DSCR n’intègre pas cette dimension, préférant considérer le 2-roues motorisé soit comme une bombe roulante uniquement destinée à dépasser la limitation de vitesse, soit comme un scooter utilitaire…
L’argument suivant a pour but de montrer que la baisse du nombre de tués en deux-roues ces dernières années n’était que fortuite : « Après une très légère baisse en 2015, la mortalité des deux-roues motorisés (2RM) repart à la hausse depuis le début de l’année. » La DSCR nous transmet cette information sans apporter de chiffre.
Il faut aller voir la FFMC pour disposer d’une précision utile : « En 2015, la mortalité auto est en hausse de 5 %, et moto de 2 %. » La plus forte augmentation concerne les usagers dans des véhicules carrossés déjà soumis au CT.
Arrivée au second semestre 2017
S’ensuit l’énumération de mesures que prend la DSCR pour protéger les motards : port des gants obligatoire, accès progressif à la conduite des motocyclettes de forte puissance (plus de 35 kW) par une période probatoire assortie d’une formation de 7 heures, uniformisation de la taille des plaques d’immatriculation et demande à EuroNCAP de développer ses activités dans le domaine de la moto.
La DSCR renvoie la balle à l’Europe
On apprend que l’instauration du CT 2RM à la revente entrera en vigueur en France au second semestre 2017. « Cette mesure élémentaire de protection du consommateur – protection au sens fort du terme puisqu’il s’agit de son intégrité physique – est déjà en vigueur dans 17 États de l’Union européenne sur 28. Elle s’imposera à tous les États membres via la directive européenne 2014/45/UE du Parlement et du Conseil du 3 avril 2014, au plus tard le 1er janvier 2022. La France, comme les autres États européens, a l’obligation de transposer cette directive avant mai 2017. »
La DSCR explique là que le contrôle technique est une mesure européenne. Ce n’est pas tout à fait exact… Car il est précisé dans la directive européenne qu’un État peut ne pas imposer le CT 2RM : il lui suffit d’apporter la preuve qu’il a mené des mesures de sécurité routière ayant permis de faire baisser le nombre d’accidents dans cette catégorie. Or en France, le nombre de décès à moto est en baisse…
Protection du consommateur ?
Cette mesure est présentée par la DSCR comme une solution pour la protection du consommateur : celui qui achète une machine d’occasion sera ainsi prémuni d’un vendeur mal intentionné. C’est méconnaître le marché de l’occasion moto : un vice caché sera-t-il détecté lors d’une visite en atelier ? Pas sûr.
Extension à tous les 2-roues
Toujours dans le communiqué de presse, la DSCR réfute l’idée, selon elle véhiculée par la FFMC, que ce CT serait rapidement étendu à tous les véhicules. Pourtant, l’exemple de l’automobile nous prouve le contraire. Et les professionnels du secteur l’attendent fermement : pour eux, pas question d’investir dans du coûteux matériel de contrôle sans avoir la certitude qu’à terme, le CT sera obligatoire pour tous les 2RM.
Le facteur technique en cause dans 0,3 % des accidents
Dans ce communiqué, la DSCR reconnaît ce chiffre, tiré de l’étude sur les accidents de moto MAIDS de 2005, mais tend à minimiser son importance : « Les statistiques de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR) démontrent que ce chiffre doit être mis en perspective d’une accidentalité routière très largement multifactorielle. En réalité, si l’anomalie technique est seule responsable de l’accident mortel dans 0,3 % des cas, elle est en cause, associée à d’autres facteurs, dans 5 % des accidents mortels ». Problème, les statisticiens de l’ONISR ne livrent pas les données qui leur permettent d’aboutir à cette conclusion. Et puis, entre 0,3 % et 5 %, on est loin d’une majorité des accidents mortels concernée.
Mais la DSCR persiste : « Ce chiffre est sous évalué car dans beaucoup de cas l’état des véhicules après un accident permet rarement de déceler l’anomalie technique responsable ». On peut argumenter le contraire : ce chiffre pourrait plutôt être sur évalué…
Et la DSCR d’en finir avec l’argument de sécurité routière : « Le contrôle technique obligatoire, dont le prix sera contenu, est donc bien une mesure de sécurité routière susceptible d’épargner de nombreuses vies et de nombreuses blessures. » Prix contenu… Entre 50 et 70 € par véhicule !
L’argument des contrôles routiers
« Feux stop et clignotants défectueux, bruit excessif, échappement non conforme. Le bilan des procès-verbaux délivrés lors des contrôles des forces de l’ordre centré sur la conformité technique des deux-roues motorisés sont édifiants », accuse la DSCR, sans toutefois étayer ces affirmations par des données chiffrées sur des contrôles récents. Cet argument est donc subjectif, et contribue à jeter l’opprobre sur les propriétaires de 2-roues.
Quelques détails sur le contenu du contrôle
« Dans le projet du gouvernement, les points de contrôle porteront principalement sur la signalisation, le freinage, la vitesse (pour les cyclomoteurs) et les émissions polluantes, l’état général du véhicule (comme l’usure des pneus), ainsi que sur la bonne conformité du certificat d’immatriculation en relation avec le véhicule examiné », poursuit la DSCR.
« Ce contrôle ne sera donc pas uniquement visuel. Il nécessitera, au contraire, un équipement technique commun à tous les centres de contrôle en matière de vérification de l’éclairage et de la pollution, mais aussi un équipement particulier : un céléromètre utilisé pour vérifier la vitesse des cyclomoteurs. »
Là, nos décideurs risquent d’être rattrapés par la réalité économique : en 2010, le gouvernement de François Fillon voulait instaurer un contrôle technique pour les cyclomoteurs. Un an plus tard le projet était repoussé sine die ; les enseignes avaient refusé d’investir dans le matériel nécessaire, trop onéreux par rapport au nombre de véhicules à contrôler. Or depuis 6 ans, le marché du cyclo ne cesse de baisser…
Un projet qui manque de cohérence
Le CT 2RM à la revente, annoncé par le Premier ministre Manuel Valls, lui a été soufflée par Emmanuel Barbe, ce dernier en ayant fait son cheval de bataille depuis qu’il a pris la tête de la DSCR. Problème, elle ne semble pas si cohérente… Les motards en sont convaincus, et les enseignes de contrôle technique plutôt frileuses.
Le délégué tente de défendre son projet
Emmanuel Barbe a peu commenté les importantes manifestations orchestrées par la FFMC, les 16 et 17 avril. Mais il a répondu, sur TF1 au JT de 20h, dimanche soir : « On ne peut pas penser que le sérieux d’une poignée de passionnés puisse s’étendre à un parc de plus de 3 millions d’utilisateurs et 600 000 ventes par an, et nous allons mettre en place ce CT car il est nécessaire… »
Le délégué parle de 600 000 ventes par an, incluant les ventes d’occasion (environ 400 000 par an) et celles des véhicules neufs (environ 265 000 en 2015), dans le but de gonfler le chiffre et rassurer ainsi les professionnels.
Mais il considère les 50 000 manifestants comme « une poignée de passionnés » ; et affirme ensuite qu’un propriétaire de 2-roues préférera vendre son véhicule (puis en acheter un autre) plutôt que de changer des éléments de sécurité comme les plaquettes de freins… On ne vit pas dans le même monde !
Quant à la « poignée de passionnés », elle appréciera, et remettra sans doute bientôt la poignée dans le coin pour se faire entendre… C’est en tous cas ce que promet la FFMC.